Les syndicats quittent les négociations en vue de la conclusion d’un accord interprofessionnel
Les syndicats ont fait savoir au président du Groupe des Dix et aux médias qu’ils ne peuvent adhérer au cadre légal fixé lors de la définition de la norme salariale. C’est pour le moins singulier. En effet, l’accord interprofessionnel (AIP) précédent (2017-2018) a été conclu sur la base des contours de la loi actuelle qui n’était même pas encore approuvée à ce moment-là. La FEB est déçue de cette attitude. Cela signifie en effet qu’il n’y aura pas d’accord sur la répartition de l’enveloppe bien-être ou sur les défis socio-économiques que nous pourrions affronter ensemble. En période de surenchère électorale, la paix sociale aurait été une aubaine. Or voilà que l’on choisit la confrontation et le chaos.
À propos de la marge salariale
En 1996, la coalition rouge-romaine de Jean-Luc Dehaene a pris conscience que les coûts salariaux risquaient de déraper. C’est pour cette raison qu’a été élaborée, sous la houlette du ministre de l’Économie de l’époque, Elio Di Rupo, la loi sur la norme salariale ou loi de 1996. Cette loi avait pour but d’éviter que le handicap salarial par rapport aux pays voisins l’Allemagne, la France et les Pays-Bas se creuse. Cet objectif n’a pas été atteint. Le handicap salarial absolu, qui se situait autour de 11% en 1996, n’a fait qu’augmenter au fil des années, avec un pic de 19,4% en 2008 et de 17,3% en 2013, générant des pertes d’emploi massives. C’est pour ces raisons – perte de compétitivité -> perte d’emploi -> perte de pouvoir d’achat – que le gouvernement Michel a décidé d’adapter la loi de ’96.
Le rapport du Conseil central de l'économie (CCE), rédigé sur la base de cette loi est particulièrement important. La marge salariale maximale pour les deux prochaines années peut atteindre 0,8% si l’on ne veut pas que la compétitivité des entreprises se détériore à nouveau. Compte tenu de l’inflation prévue, cela signifie que les salaires augmenteront de 4,6% au cours des deux prochaines années.
De plus, le ‘pouvoir d’achat’ des travailleurs peut encore augmenter davantage si les négociations sectorielles ou d’entreprise permettent de miser à la carte sur des augmentations nettes ou des indemnités dans le cadre d’importants défis sociétaux (comme la mobilité, les pensions complémentaires …).
Quels étaient les autres dossiers sur la table ?
Mais l’AIP ne concerne pas que les salaires. Il porte aussi sur la solidarité avec les allocataires sociaux, les malades, les invalides, les pensionnés qui ont une petite pension … Une somme d’environ 700 millions EUR est prévue pour augmenter les allocations les plus basses, moyennant un accord entre partenaires sociaux. L’affectation de cette enveloppe bien-être aurait été un signal important pour ceux qui en ont vraiment besoin aujourd’hui.
Par ailleurs, la problématique des pénuries du marché du travail et l’impact de la digitalisation sur notre économie constituent une préoccupation permanente. Les discussions sur la mobilité durable, la qualité et la flexibilité du travail et une trajectoire opérationnelle pour les emplois de fin de carrière sont des thèmes extrêmement importants pour lesquels les partenaires sociaux auraient pu ouvrir une perspective. Tout cela risque à présent d’échouer.
Et maintenant ?
Selon les syndicats, un dialogue social n’est possible que dans un nouveau cadre légal. Cela exigera des mois de concertation avec le Parlement. Dans l’intervalle, un Brexit dur risque de coûter plus de 40.000 emplois et la croissance économique continue à se détériorer. Les dérapages des coûts salariaux et le recul de l’emploi privé ne semblent plus inquiéter. Il aurait pourtant été positif que les syndicats contribuent, en cette période de désordre social, à l’élaboration d’un AIP qui aurait apporté sérénité et perspective aux travailleurs et aux allocataires sociaux.
Nous sommes particulièrement déçus. Depuis des semaines et des mois, la FEB s’est beaucoup investie pour orienter la concertation sociale vers une amélioration de la compétitivité et du pouvoir d’achat. Nous aurions pu œuvrer à la paix sociale en période de surenchère électorale. Nous aurions pu être un phare dans cette période d’incertitude.
Un AIP n’est pas qu’une affaire de chiffres. C’est aussi une prise de responsabilité. Si les syndicats montrent qu’ils sont encore disposés à s’asseoir autour de la table pour trouver des solutions, la porte leur est ouverte.