PILE À TEMPS – SOPHIE DUTORDOIR (SNCB)
Dans Let’s Talk, la FEB vous fixe rendez-vous avec une figure clé du monde entrepreneurial en Belgique chaque dernier jeudi du mois. Qui se cache derrière la femme ou l’homme chef d’entreprise ? Quel est le moteur qui la ou le pousse à faire tourner son activité 24h sur 24, 7j sur 7 ? La passion des chiffres, les gènes, l’ambition... ? Let’s Talk raconte une histoire personnelle, un businesscase dynamique sur la scène et dans les coulisses. Écoutez aujourd'hui Sophie Dutordoir. La dirigeante de la SNCB parle avec passion de ses projets pour nos chemins de fer, navigue entre les sensibilités politiques, sociales et communautaires et révèle en passant que le président du MR, Georges-Louis Bouchez, doit encore lui offrir un tatouage d'ancre.
Au début des années ‘80, Sophie Dutordoir, CEO de la SNCB, a entamé des études de philologie romane à l'Université de Gand, contre l’avis de sa mère qui voulait l'envoyer à l'école militaire. Son choix fait, elle a rigoureusement continué jusqu'au bout. C’est d'ailleurs un trait de caractère qui décrit encore pleinement cette femme énergique 40 ans plus tard. Sous sa direction, les trains de la SNCB font le tour du monde sept fois par jour.
« Il faut savoir que nous ne pourrons jamais réaliser les ambitions climatiques sans la contribution du secteur des transports, en l'occurrence du transport ferroviaire »
Sophie Dutordoir a commencé sa carrière auprès de feu le Premier ministre Wilfried Martens. En 1990, elle a rejoint Electrabel, où elle est restée plus de 20 ans, à l'exception d'un bref passage chez Fluxys en tant que CEO. Après un bref intermède dans sa propre épicerie fine italienne ‘Poppeia’ à Overijse, elle est entrée à la SNCB. Adepte inconditionnelle des entreprises industrielles, elle dirige depuis 2017, selon ses propres dires, l’organisation la plus complexe pour laquelle elle a travaillé à ce jour. En 2019, la SNCB a transporté plus de 253 millions de passagers. Aujourd'hui, elle compte quelque 18.000 collaborateurs et ses trains font le tour du monde sept fois par jour.
Monopole
Pour les dix prochaines années (jusqu'en 2032), la SNCB conservera son monopole sur le transport ferroviaire de passagers dans notre pays. Mais par la suite, plus rien ne s'opposera à la libéralisation. « Une forme de concurrence ne fait jamais de tort. Mais plus encore que la concurrence entre compagnies ferroviaires, la SNCB doit se mesurer à la voiture », souligne Sophie Dutordoir. « Notre objectif consiste à faire sortir un maximum de personnes de leur voiture et de réaliser un transfert modal vers les transports publics, notamment pour atteindre les objectifs climatiques ambitieux que notre pays s'est fixés. » D’aucuns voient la libéralisation principalement comme une réduction des prix et une amélioration de la qualité. « J’imagine que la réalité sera différente. Il suffit de voir comment le gouvernement Verhofstadt avait défendu la libéralisation du marché de l'électricité à l'époque et le coût de la facture d'électricité aujourd'hui. »
Contrat de gestion
Depuis qu'il a été décidé, l'an dernier, de réserver l’exclusivité du marché belge des trains à la SNCB dix années de plus, celle-ci attend un nouveau contrat de gestion. Il devrait être signé fin 2022. Sophie Dutordoir juge que c’est indispensable si l'on ne veut pas ouvrir nos frontières à n'importe quel opérateur. La proposition de contrat en cours d'élaboration repose sur cinq pistes parallèles : « (1) les obligations de la SNCB, (2) les droits et compensations de la SNCB en échange de ces obligations, (3) les ambitions stratégiques, (4), un plan d'investissement pluriannuel (!) et (5) le plan de performance (où voulons-nous être dans dix ans ?) ».
Investissements à long terme
Convaincre les clients de prendre le train implique d’investir. C’est ce que doit faire toute entreprise si elle veut rester pertinente.Sophie Dutordoir n’y va pas par quatre chemins. Notre pays a sous-investi dans les chemins de fer pendant des décennies. Il faut savoir que nous ne pourrons jamais réaliser les ambitions climatiques sans la contribution du secteur des transports, en l'occurrence du transport ferroviaire. « Même pendant la crise du coronavirus, la SNCB a rigoureusement continué à investir. Elle a ainsi investi près de 700 millions EUR en 2021, dont 310,4 millions EUR dans l’élargissement de sa flotte de wagons modernes et confortables. Plus de 146 millions EUR ont été consacrés à l'accueil des voyageurs dans les gares, une bonne centaine de millions à la modernisation des applications informatiques très archaïques. Pour réaliser toutes nos ambitions, nous avons recruté 1.200 nouveaux collaborateurs l’année dernière. Cette année, nous sommes toujours à la recherche de 1.300 personnes. Tous ensemble, nous devons être le miroir des passagers que nous transportons. »
Complexe et stratégique
Sophie Dutordoir a dit un jour que la SNCB est l'organisation la plus complexe pour laquelle elle a travaillé à ce jour. La structure hiérarchique très rigide n'est rien en comparaison de celle de la Défense. Le nombre élevé de travailleurs statutaires, ainsi que les procédures de recrutement complexes et très longues, font qu'il est très difficile pour la direction de procéder à des changements rapides. « La SNCB est en effet extrêmement complexe, pour de nombreuses raisons. Mais beaucoup de choses se sont déjà améliorées au cours des cinq dernières années. En même temps, la SNCB est aussi la plus belle entreprise que je connais. » C’est aussi l'une des entreprises les plus stratégiques, indispensable comme moteur pour la réalisation du transfert modal et comme plaque tournante de la dynamique économique et sociale de notre pays.
Vision et stratégie à long terme
La ponctualité est un thème particulièrement sensible. Pendant le confinement par exemple, le trafic ferroviaire a diminué mais la ponctualité a augmenté. La congestion et la ponctualité sont-elles dès lors des vases communicants ? « Ce qui est vrai pour la route l'est aussi pour le chemin de fer. Plus il y a de trains, plus le risque de congestion est grand. Et il existe de nombreux autres facteurs qui influent sur la ponctualité. » Pourtant, Sophie Dutordoir ne se compare pas aux chemins de fer japonais, où une seconde de retard est considérée comme un échec. « Avoir une seconde de retard n'est pas un échec. Mais j'envie les pays qui ont une vision et une stratégie à long terme et qui la lient à une vision de l'aménagement du territoire et de l'organisation du travail. »
Rigueur, rigueur, rigueur
Le parcours de Sophie Dutordoir est le résultat de son éducation qui lui a appris la rigueur positive, de nombreux hasards, rencontres et opportunités et du courage de sauter dans le train quand il passe. Et même si elle n'arrive pas toujours à faire abstraction de la politique, il est tout à son honneur de défendre son entreprise, qui est critiquée à tout bout de champ. « Restez fidèle à vos valeurs et ne laissez pas le pouvoir vous monter à la tête !"
Bloquez dès à présent dans votre agenda la date du prochain podcast Let’s Talk de la FEB. L'invité, Grégoire Dallemagne (CEO de Luminus et président de la FEBEG), y commentera les principaux défis qui attendent le secteur de l'énergie. Perturbations de l’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine, neutralité carbone, efficacité énergétique, nouveau marché de l’énergie … Écoutez-le dès le jeudi 30 juin 2022.